
Plus nous sentons le besoin d’Agir,
Albert Jacquard
plus nous devons nous efforcer à la réflexion.
Plus nous sommes tentés par le confort de la méditation,
plus nous devons nous lancer dans l’action.
Le « Non-Agir » est un concept développé par Lao Tseu, le fondateur du taoïsme.
Les termes chinois sont Wu Wei :
*Wu signifiant « ne… pas » ;
*Wei signifiant « faire » ou « agir ».
La traduction littérale la plus courante en français a donc été « non-agir ». Cette traduction est cependant trompeuse car elle sous-entend une idée de passivité ou d’inaction, alors que le taoïsme invite au contraire à l’action, mais à une action juste. Le « faire » actif évoque plutôt une action forcée, une ingérence qui gêne ou perturbe. On pourrait alors traduire Wu Wei plutôt par « non-interférence ».
Wu Wei invite à agir dans l’ordre des choses, en harmonie avec la nature. Malgré sa forme négative, Wu Wei pourrait donc aussi être traduit positivement par « agir véritable ».
Non-Agir = Présence à Soi
Pensée Taoïste
Le Tao est le principe à l’origine de toutes les choses. Innommable, inexprimable car éternel, infini et intangible, le Tao est présent partout et englobe tout.
Définition du Tao
Le Tao est la Grande Source qui génère toute chose, la matrice originelle qui précède les choses différenciées.
Le taoïsme est une philosophie religieuse fondée par Lao Tseu au 6ème siècle avant J-C. C’est, avec le Confucianisme et le Bouddhisme, l’un des 3 piliers de la philosophie chinoise soutenue par 3 œuvres majeures :
*Tao Te King de Lao Tseu (Livre de la Voie et de la Vertu)
*Les œuvres de Tchouang Tseu (Zhuangzi, Classique véritable de Nanhua)
*Les œuvres de Lie Tseu (Vrai classique du vide parfait).
Comme son nom l’indique, le taoïsme se fonde sur le Tao : « la source de toutes les choses ». Le taoïsme a d’abord pour objet de comprendre le Tao, il s’agit ensuite d’adopter une éthique de vie conforme : la Voie à suivre. Le taoïsme est une philosophie « totale » qui touche à la fois à la métaphysique, à la cosmologie, à la psychologie, à l’éthique, ou encore à la philosophie politique.
On peut identifier plusieurs principes fondamentaux du taoïsme comme l’équilibre des forces, le naturalisme, le refus du discours et de la morale, une certaine forme d’anarchisme, et le « Non-Agir » ou le calme mental dont on parle ici.
Confiance en l’Univers
C’est une invitation à s’intégrer au mouvement de l’Harmonie Globale avec confiance et enchantement.
La pensée occidentale est dominée par l’adage « être dans l’action », soutenue par l’idée que l’Être humain peut contrôler les évènements et la nature. Cette idée de pouvoir agir sur le monde vient de ce que l’on se voit généralement comme distinct de lui. A l’inverse, dans la pensée taoïste, l’Être humain fait partie intégrante du monde et n’occupe pas une position extérieure qui lui donnerait le pouvoir de le penser et de le transformer.
Dans cette perspective, le rôle de l’Être n’est pas d’agir sur le monde, ce qui est illusoire ; mais d’en comprendre les lois et de s’y conformer afin de s’intégrer au mieux dans l’ordre naturel. Il est possible de lâcher le « besoin d’agir » en cultivant la confiance en l’Univers. Les polarités qui semblent opposées (jour / nuit, vide / plein, amour / haine) sont alors en réalité reliées et complémentaires. C’est le principe des polarités Yin et Yang (féminin / masculin) qui maintiennent un équilibre dynamique entre ces forces opposées en éternel changement. La confiance en la nature et en sa propension à revenir à l’équilibre naturel sont au cœur du « Non-Agir ». Il est conseillé de s’en remettre au mouvement de balancement perpétuel du Yin et du Yang, sans essayer de s’immiscer dans le cours naturel des événements.
« Le Tao est tel un puits, sans cesse utilisé mais jamais tari.
Tao Te King, 4
Il est comme le vide éternel, empli d’infinies possibilités.
Il est caché mais toujours présent.
Je ne sais qui lui a donné naissance.
Il est plus ancien que Dieu ».
Les polarités Agir / Non-agir
Agir et « Non-Agir » constituent un couple de polarités opposées, il constitue les 2 faces d’une même pièce.
Le « Non-Agir » est une polarité Yin, placée sous le signe de la discrétion, du repos, de la temporisation, de l’efficience, tandis que l’Agir est Yang à travers la décision, l’action visible, le concret, l’efficacité.
L’Agir / Yang est vu comme « masculin », orienté vers le « faire ». Le « Non-agir » ne s’oppose pas à la prise de décision ou à l’action, mais vient au contraire interagir en complémentarité avec eux.
Le « Non-Agir » n’est pas inactivité, c’est une activité qui opère d’elle-même, autrement que par l’action. Il ne s’agit en rien de « laisser faire », mais bien de « laisser les choses se faire ».
Le « Non-Agir » n’est pas synonyme du moindre effort mais d’une action qui s’exerce à bon escient et qui sait « s’arrêter à temps ».
« Ne forcez point votre talent, vous ne feriez rien avec grâce »
Oscar Wilde
« Non-Agir » ou Accueillir la Vacuité
Le « Non-Agir », c’est mettre en place les conditions favorables pour que les choses se réalisent d’elles-mêmes, puis lâcher-prise quant au résultat qui en débouchera. Une des façons de créer les conditions propices, est de clarifier son intention. Plus l’intention est focalisée de manière claire sur un but à atteindre, plus les choses se mettront en place d’elles-mêmes. Le principe de la loi d’attraction ne dit finalement rien d’autre !
« Sois content de ce que tu as ; réjouis toi de la réalité telle qu’elle est.
Tao Te King, 44
Quand tu comprends que rien ne manque,
le monde entier t’appartient ».
Le Pouvoir de la Volonté au Service du « Non-Agir »
afin lâcher la tyrannie de l’Ego
Ce n’est clairement pas à force de volonté forcée que l’on atteint l’éveil ; en effet, dans le cheminement spirituel une certaine dose de discipline personnelle est la bienvenue quand efforts et volontarisme provoquent des effets contraires. Il suffit de se mettre en position d’accueil et accepter de se laisser toucher et traverser par la grâce. Le « Non-Agir » est un chemin de sagesse qui, paradoxalement, n’a aucune prétention à la sagesse, car vouloir devenir sage est un désir qui ne peut que nous éloigner du but fixé.
L’ego souhaite gagner et exercer un contrôle sur les évènements. Il lui est donc pénible de se retenir d’agir. Loin de l’inertie, le « Non-Agir » est en réalité un difficile acte intérieur de maîtrise de soi, exigeant de laisser le mental en retrait et, consciemment, de ne pas exercer sa volonté.
C’est un exercice d’humilité que de lâcher l’illusion d’agir par soi-même. En se voyant comme un canal conscient à travers lequel agit le Tao, l’Être se met alors au service d’une force plus grande que lui.
« Si tu veux être entier, laisse toi être partiel.
Tao Te King, 22
Si tu veux être droit, laisse toi être tordu.
Si tu veux être plein, laisse toi être vide.
Si tu veux renaître, laisse toi mourir.
(…) Le Maître, parce qu’il n’a aucun but, réussit tout ce qu’il fait ».
Un Espace d’Ouverture
Être un canal conscient à travers lequel circulent les forces de la vie, cela demande de grandes qualités de réceptivité et de disponibilité à ce qui est présent. Cela implique préalablement de créer en soi un « espace d’ouverture » dans lequel les puissances créatrices pourront pénétrer. Le « Non-Agir » ne se résume pas à choisir le bon moment pour agir. C’est une posture intérieure d’ouverture à ce qui peut émerger de l’inattendu. C’est un accueil de nouveaux possibles qui s’offrent à soi, comme la rivière qui découvre l’obstacle et s’y adapte dans l’instant. Cette attitude demande une grande disponibilité dans l’ici et maintenant, afin d’être capable de répondre de façon juste aux circonstances, qui sont en perpétuels changements.
« Essaie de rendre les gens heureux,
Tao Te King, 58
et tu poses les fondements de la misère.
Essaie de rendre les gens vertueux,
et tu poses les fondements du vice.
Ainsi le Maître se contente
de servir d’exemple
et de ne pas imposer sa volonté ».
Le « Non-Agir » ou Ethique de Vie fondée sur le Calme Mental
L’éthique de vie taoïste consiste à harmoniser son Être avec le Tao, ce qui implique lâcher-prise et spontanéité. Il s’agit de pratiquer le « Non-Agir » qui consiste à placer son action dans l’ordre des choses, sans se forcer, sans rien attendre pour soi-même. Il suggère, non pas une absence d’action, mais une action naturelle, douce et équilibrée, en conformité avec le Tao, en suivant en conscience les lois de la nature. Pour cela, il suffit de se tenir au centre, au point d’équilibre des principes opposés, car tout décentrage risque de se traduire par un mouvement de balancier inverse. La sagesse taoïste repose sur le fondement du « détachement » par rapport aux choses, elle se rapproche, sur le principe, de la philosophie stoïcienne: accepter l’ordre des choses, vivre son destin de manière ouverte et impassible. Il s’agit aussi et surtout de se détacher de ses propres pensées.
« Suivre le cours des choses et achever son œuvre sans même en avoir conscience,
Tchouang Tseu, chapitre 2
tel est, pour moi, le mode de fonctionnement des choses ».

3 réflexions sur “Le « Non-Agir » ou l’Art d’Être en Conscience”