
Victor Hugo est un poète, dramaturge, écrivain, romancier et dessinateur romantique français, né le 26 février 1802 à Besançon et mort le 22 mai 1885 à Paris. Il est considéré comme l’un des plus importants écrivains de langue française. Il est aussi une personnalité politique et un intellectuel engagé qui a eu un rôle idéologique majeur et occupe une place marquante dans l’histoire des lettres françaises au 19ème siècle, dans des genres et des domaines d’une remarquable variété.
Le poème Suprématie fait partie du livre de recueil de poèmes qui s’intitule La légende des siècles. Ce recueil est conçu comme une œuvre monumentale destinée à dépeindre l’histoire et l’évolution de l’ Humanité. Il écrit par intermittence entre 1855 et 1876, les poèmes furent publiés en 3 séries : en 1859, en 1877 et en 1883.
Portée par un talent poétique estimé comme sans égal où se résume tout l’art de Hugo, La Légende des siècles est considérée comme la seule véritable épopée française et, suivant le jugement porté par Baudelaire, « comme la seule épopée moderne possible ».
Devant lui, en rêve, le poète contemple le mur des siècles, vague et terrible, sur lequel se dessinent et se mêlent toutes les scènes du passé, du présent et du futur, et où défile la longue procession de l’humanité. Les poèmes sont la peinture de ces scènes éparses et aperçues fugitivement, dans un entremêlement de visions terribles. Hugo n’a recherché ni l’exactitude historique ni encore moins l’exhaustivité. Au contraire, il s’attache plus volontiers à des figures obscures, le plus souvent inventées, mais qui incarnent et symbolisent leur âge et leur siècle.
Les poèmes, tantôt lyriques, épiques ou satiriques, forment une suite de l’aventure humaine, cherchant non à résumer mais à illustrer l’histoire du genre humain, à témoigner, au sens originel du terme, de son long cheminement des ténèbres vers la lumière.
Suprématie fait parti de la 2ème série et correspond au 2ème poème inspiré de la Kena Upanishad, l’une des plus anciennes Upanishad majeures. Il s’agit d’un texte court comprenant 4 chapitres et 34 versets. Ce livre d’enseignement cherche à démontrer aux yeux de l’étudiant que le Brahman, « le Tout universel », est le responsable de chaque mouvement de vie sur terre.
Victor Hugo était fasciné par l’Orient durant toute sa vie tout en ayant toujours une sorte de pudeur devant le mystère de l’Inde. Elle l’impressionnait par sa complexité et par la majesté de son édifice culturel. Nourri de cette attirance, il décide de traduire de façon poétique la kena Upnishad qui sera amplifiée, magnifiée, enrichie par le génie visionnaire de ce grand romantique.
C’est de l’histoire écoutée aux portes de la légende
Commentaire de Victor Hugo sur « La légende des siècles »
Lorsque les trois grands dieux eurent dans un cachot
Mis les démons, chassé les monstres de là-haut,
Oté sa griffe à l’hydre, au noir dragon son aile,
Et sur ce tas hurlant fermé l’ombre éternelle,
Laissant grincer l’enfer, ce sépulcre vivant,
Ils vinrent tous les trois, Vâyou le dieu du vent,
Agni, dieu de la Flamme, Indra, dieu de l’Espace,
S’asseoir sur le zénith, qu’aucun mont ne dépasse,
Et se dirent, ayant dans le ciel radieux
Chacun un astre au front: » Nous sommes les seuls dieux! »
Tout à coup devant eux surgit dans l’ombre obscure
Une lumière ayant les yeux d’une figure.
Ce que cette lumière était, rien ne saurait
Le dire, et, comme brille au fond d’une forêt
Un long rayon de lune en une route étroite,
Elle resplendissait, se tenant toute droite.
Ainsi se dresse un phare au sommet d’un récif.
C’était un flamboiement immobile, pensif,
Debout.
Et les trois dieux s’étonnèrent.
Ils dirent:
« Qu’est ceci? »
Tout se tut et les cieux attendirent.
« Dieu Vâyou, dit Agni, dieu Vâyou, dit Indra,
Parle à cette lumière. Elle te répondra.
Crois- tu que tu pourrais savoir ce qu’elle est?
– « Certes, dit Vâyou : je le puis ».
Les profondeurs désertes
Songeaient; tout fuyait, l’aigle ainsi que l’alcyon.
Alors Vàyou marcha droit à la vision.
« Qu’es- tu? » cria Vâyou, le dieu fort et suprême.
Et l’apparition lui dit :
« Qu’es- tu, toi- même? »
Et Vàyou dit: « Je suis Vâyou, le dieu du Vent »
– Et qu’est- ce que tu peux?
– « Je peux, en me levant,
Tout déplacer, chasser les flots, courber les chênes,
Arracher tous les gonds, rompre toutes les chaînes,
Et si je le voulais, d’un souffle, moi Vâyou,
Plus aisément qu’au fleuve on ne jette un caillou
Ou que d’une araignée on ne crève les toiles,
J’emporterais la terre à travers les étoiles ».
L’apparition prit un brin de paille et dit:
« Emporte ceci ».
Puis, avant qu’il répondit,
Elle posa devant le dieu le brin de paille.
Alors, avec des yeux d’orage et de bataille,
Le dieu Vàyou se mit à grandir jusqu’au ciel,
Il troua l’effrayant plafond torrentiel,
Il ne fut plus qu’un monstre ayant partout des bouches,
Pâle, il démusela les ouragans farouches
Et mit en liberté l’âpre meute des airs;
On entendit mugir le simoun des déserts
Et l’aquilon qui peut, par dessus les épaules
Des montagnes, pousser l’océan jusqu’aux pôles;
Vâyou, géant des vents, immense, au dessus d’eux
Plana, gronda, frémit et rugit, et, hideux,
Remua les profonds tonnerres de l’abîme;
Tout l’univers trembla de la base à la cime
Comme un toit où quelqu’un d’affreux marche à grands pas
Le brin de paille aux pieds du dieu ne bougea pas.
Le dieu s’en retourna.
« Dieu du vent, notre frère,
Parle, as- tu pu savoir ce qu’est cette lumière? »
Et Vâyou répondit aux deux autres dieux : « non »
« Agni », dit Indra ;
« Frère Agni, mon compagnon » : dit Vâyou, « pourrais- tu le savoir, toi?
« Sans doute » : dit Agni
Le dieu rouge, Agni, que l’eau redoute,
Et devant qui médite à genoux le Bouddha,
Alla vers la clarté sereine et demanda :
« Qu’es- tu clarté?
– Qu’es- tu toi- même? lui dit- elle. – Le dieu du feu.
– Quelle est ta puissance?
Elle est telle
Que, si je veux, je puis brûler le ciel noirci,
Les mondes, les soleils, et tout.
– Brûle ceci »,
Dit la clarté, montrant au dieu le brin de paille.
Alors, comme un bélier défonce une muraille,
Agni, frappant du pied, fit jaillir de partout
La flamme formidable, et, fauve, ardent, debout,
Crachant des jets de lave entre ses dents de braise,
Fit sur l’humble fétu crouler une fournaise;
Un soufflement de forge emplit le firmament;
Et le jour s’éclipsa dans un vomissement
D’étincelles, mêlé de tant de nuit et d’ombre
Qu’une moitié du ciel en resta longtemps sombre;
Ainsi bout le Vésuve, ainsi flambe l’Hékla;
Lorsqu’enfin la vapeur énorme s’envola,
Quand le dieu rouge Agni, dont l’incendie est l’âme,
Eut éteint ce tumulte effroyable de flamme
Où grondait on ne sait quel monstrueux soufflet,
Il vit le brin de paille à ses pieds, qui semblait
N’avoir pas même été touché par la fumée.
Le dieu s’en revint.
– « Dieu du feu, force enflammée,
Quelle est cette lumière enfin? Sais- tu son nom? »
Dirent les autres dieux.
Agni répondit : « non »
« Indra » : dit Vàyou ;
« Frère Indra : dit Agni, Sage !
Roi! dieu ! qui, sans passer, de tout voit le passage,
Peux- tu savoir, ô toi dont rien ne se perdra,
Ce qu’est cette clarté qui nous regarde? »
Indra répondit : « Oui ».
Toujours droite, la clarté pure
Brillait, et le dieu vint lui parler :
« O figure, Qu’es- tu? » dit Indra, d’ombre et d’étoiles vêtu.
Et l’apparition dit : « Toi- même, qu’es- tu? »
Indra lui dit : « Je suis Indra, dieu de l’Espace.
– Et quel est ton pouvoir, dieu?
– Sur sa carapace
La divine tortue, aux yeux toujours ouverts,
Porte l’éléphant blanc qui porte l’univers.
Autour de l’univers est l’infini.
Ce gouffre contient tout ce qui vit, naît, meurt, existe, souffre,
Règne, passe ou demeure, au sommet, au milieu,
En haut, en bas, et c’est l’espace, et j’en suis dieu.
Sous moi la vie obscure ouvre tous ses registres ;
Je suis le grand voyant des profondeurs sinistres ;
Ni dans les bleus édens, ni dans l’enfer hagard,
Rien ne m’échappe, et rien n’est hors de mon regard;
Si quelque être pour moi cessait d’être visible,
C’est lui qui serait dieu, pas nous; c’est impossible.
Étant l’énormité, je vois l’immensité;
Je vois boute la nuit et toute la clarté;
Je vois le dernier lieu, je vois le dernier nombre,
Et ma prunelle atteint l’extrémité de l’ombre;
Je suis le regardeur Infini. Dans ma main
J’ai tout, le temps, l’esprit, hier, aujourd’hui, demain.
Je vois les trous de taupe et les gouffres d’aurore,
Tout! et, là même où rien n’est plus, je vois encore.
Depuis l’azur sans borne où les cieux sur les cieux
Tournent comme un rouage aux flamboyants essieux,
Jusqu’au néant des morts auquel le ver travaille,
Je sais tout ! Je vois tout !
– Vois- tu ce brin de paille? »
Dit l’étrange clarté d’où sortait une voix.
Indra baissa la tête et cria : « Je le vois.
Lumière, je te dis que j’embrasse tout l’être;
Toi- même, entends- tu bien, tu ne peux disparaitre
De mon regard, jamais éclipsé ni décru! »
A peine eut- il parlé qu’elle avait disparu.
Namaste

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